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Les stupéfiants, entre criminalisation, tentative de décriminalisation et aménagements raisonnables
Une de nos professeur·es de droit pénal et de procédure pénale, Christine Guillain, y consacre tout à la fois recensement scientifique et réflexion de terrain.
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Cette thématique sensible était déjà le centre de sa thèse de doctorat en 2009 et n’a cessé d’être un objet de réflexion à travers ses nombreuses publications sur le sujet, au cours des 15 dernières années de sa carrière scientifique. Le volet recherche fondamentale. Un ouvrage encyclopédique dans la prestigieuse collection « Répertoire pratique du droit belge : Stupéfiants », chez Larcier. Christine Guillain vient de publier (février 2023) une somme juridique consacrée aux stupéfiants, un type de contentieux qui n’a jamais quitté ces 30 dernières années l’avant de la scène des infractions qui sont portées devant les cours et tribunaux. Cet ensemble réservé à un public de praticiens du droit se présente comme une encyclopédie rassemblant toutes les législations dédiées à cette matière : arrêtés royaux, circulaires, conventions internationales, directives européennes, doctrine, jurisprudence. D’un point de vue pénal, l’infraction en matière de stupéfiants est complexe car polymorphe puisqu’elle concerne tout à la fois la production, la vente, l’achat et la détention par une multitude d’acteurs diversement impliqués à un moment donné de la chaîne du trafic. Une autre singularité de la matière réside dans l’absence de plainte de la part des victimes, l’importance quantitative des contentieux étant due à la dynamique proactivité policière. L’ouvrage, de portée scientifique, ne prend pas position quant à l’opportunité d’une décriminalisation partielle en matière de stupéfiants, la position législative de la Belgique dans cette matière délicate étant relativement ambiguë : la détention de cannabis est toujours bien une infraction au regard de la loi, mais elle est tolérée à des fins d’usage personnel, et encore, dans une circulaire qui n’a pas force de s’imposer aux juges. Le volet recherche appliquée. Un projet de recherche interuniversitaire et intercommunautaire jusqu’en 2026. Christine Guillain participe par ailleurs au projet de recherche, « Rebuilding Evidence on Drug Rooms », financé par Belspo (soutien financier et structurel de la politique scientifique fédérale) pour une durée de trois ans, qui regroupe des partenaires universitaires de la FWB (UCLouvain, ULiège et USL-B) et de la Région flamande (UGent). Le projet se propose d’évaluer les impacts humains et sociétaux des salles de consommation à moindre risque (communément appelées de manière un peu rapide « salles de shoot ») les « Drug Consumption rooms » (DCR) qui existent déjà à Liège (« Saf’ti », 2018) et à Bxl (« Gate », 2022). Cette proposition audacieuse bénéficie d’une longue expérience internationale (elle existe depuis plus de 35 ans dans certains pays) qui a prouvé ses impacts sociétaux positifs. Les objectifs poursuivis sont une réduction des risques, par la préservation de la santé et de la sécurité publiques. En effet, la consommation anarchique telle qu’elle se déroule dans certains quartiers induit, entre autres, morbidité des usagers, nuisances publiques, troubles du voisinage, intensification de la criminalité locale, etc. Pour répondre à ces difficultés, la proposition de mettre à disposition des endroits de consommation sous la surveillance médicale et sociale de professionnel·les (médecins, infirmiers ou infirmières, assistant·es social·es) est destinée à créer un environnement sécurisé, hygiénique et sans jugement pour ces populations de consommateurs et consommatrices toujours en situation de précarité (précision : ils y viennent avec leurs propres produits). En juriste experte, Christine Guillain analysera les DCR sous leurs aspects juridiques puisqu’elles sont formellement en conflit avec le droit pénal. Il s’agira d’étudier les conditions juridiques de ces installations dans un cadre de politique de santé publique (législation pour les professions de la santé ou gestion des installations accessibles au public) plutôt que dans un cadre de politique pénale. Cette analyse aidera à envisager tous les éléments qui devraient être pris en compte dans l’éventualité d’une extension des DCR à toute la Belgique, la loi devant dans ce cas, être amendée. La recherche en sciences humaines et sociales à Saint-Louis peut compter sur des forces vives qui ne craignent pas de s’emparer de questions sensibles, pour réfléchir à des solutions audacieuses qui peuvent sembler bousculer l’entendement commun. F.G. |